Sculpteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Igor

 

Vache barrosã et serpent


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retour aux sculptures

La créativité a besoin de temps pour se manifester. Après m'être installé au Portugal pour me dédier à la sculpture, il m'a fallu quelques mois à simplement me laisser impregner de mon nouvel entourage, à faire des longues promenades en ville sans but, à lire tous ce qui me parvenait entre les mains sur ce pays mystérieux qu'est le Portugal, avant de commencer à produire quelque chose. Ces moments d'idées incertaines et de motivation un peu vacillante peuvent créer des inquiétudes, surtout en voyant les gens autour poursuivre leurs activités quotidiennes avec détermination. Ils se produisent d'ailleurs aussi durant les premières phases de travail d'une sculpture, lorsque je fait connaisance avec ma pierre en essayant d'en dégager des éléments qui, tôt ou tard, devraient tous converger vers une seule idée formelle.

Une nuit durant cette phase d'adaptation à mon nouveau contexte de vie, j'ai fait un rêve qui m'a fait une forte impression. J'étais dans la région montagneuse du Gerês au Portugal, où nous avions passé les vacances d'été, et je prenais un bains dans un lac avec des vaches Barrosã. Ce sont des vaches d'une race locale ancienne aux cornes infinies et au museau retroussé, qui observent les passants d'un regard qui semble venir des profondeurs du temps. Dans le rêve, elles étaient immergées dans l’eau et jouaient avec moi, en me lançant dans l’air et en amortissant les chutes avec tendresse. Avant d'entrer dans l'eau, j'avais fait partir à coups de bâton les serpents qui vivent dans les rives des lacs. Entortillés autour de troncs d'arbres et plus grands qu'en réalité, ils observaient notre jeu dans l'eau d'un air menaçant. Sachant qu'ils étaient inoffensifs, je ne ressentais aucune peur.

Je travaillais ces jours-là un granit composé de gros grains violets et roses, que j'avais trouvé dans le lit d'une rivière du Gerês. C'était une pierre arrondie en forme de grande lentille qui offrait quelques résistance à mes essais d'en faire surgir une idée formelle cohérente. Une partie de la pierre me rappellait vaguement le museau d'une vache Barrosã, mais la pierre n'avait pas le volume permettant de sculpter les longues cornes typiques. En plus, la représentation d'une tête de vache seule ne me motivait pas assez. Le rêve m'a sorti de l'impasse en me fournissant des références symboliques multiples facilitant aussi la recherche formelle. Je voyais la vache et le serpent comme des éléments opposés, que j'ai traduit au niveau de la sculpture par un jeu de formes convexes et concaves. Ce "fil rouge symbolique" a également permis de résoudre le problème des cornes: j'en ai sculpté une en serpent entortillé autour de la tête de la vache, alors que l'autre se termine en coupe concave, laissant à l'oeil du spectateur le travail de la prolonger à l'infini. Liée au rêve, la sculpture est devenue, pour moi, un symbole de confiance en la vie. La vache, nourricière, symbolisant la créativité humaine et le bien-être matériel, se trouve en lien et en opposition avec le serpent, symbole du chaos original: le dépassement des peurs existentielles par la créativité?

Porto, novembre 2009